Depuis plusieurs semaines, le Niger vit au rythme de révélations judiciaires et d’arrestations spectaculaires qui bouleversent la scène politique nationale. La plus récente, concernant l’ancien ministre Ibrahim Yacouba cité dans une affaire de tentative d’assassinat et de crimes rituels, illustre une tendance qui s’installe : désormais, aucun nom, aussi prestigieux soit-il, ne semble à l’abri de la justice.
Cette dynamique soulève une question fondamentale : assistons-nous aux premiers actes de la promesse faite par le Général d’Armée Abdourahamane Tiani de restaurer la justice sociale au Niger ?
Une justice qui se veut implacable
Le point de presse tenu le 14 septembre par le procureur général près la Cour d’appel de Niamey en dit long. Pour la première fois depuis des années, la justice ose citer publiquement des personnalités de haut rang dans des affaires criminelles d’une extrême gravité. Les aveux du marabout Mahamadou Noura, mis en cause dans une série d’assassinats et une tentative d’assassinat, ont ouvert la voie à une onde de choc : le nom d’Ibrahim Yacouba, ancien ministre et figure politique de premier plan, a été directement mentionné.
Ce cas n’est pas isolé. Depuis quelques mois, d’autres figures publiques ont vu leurs noms apparaître dans des dossiers de corruption, de détournements massifs de fonds publics, ou encore d’affaires criminelles. Ce climat marque une rupture avec le passé, où les élites politiques bénéficiaient souvent d’une immunité de fait, plaçant leurs intérêts au-dessus de la loi.
Le projet du Général Tiani : une justice égale pour tous ?
À sa prise de pouvoir en juillet 2023, le Général Abdourahamane Tiani avait fait de la restauration de la justice sociale un des piliers de son discours. Il avait dénoncé les dérives d’une classe politique accusée d’avoir ruiné le pays par la corruption, les détournements et la mauvaise gouvernance.
Aujourd’hui, force est de constater que ses propos semblent trouver un écho dans les actions de la justice. La vague actuelle d’arrestations, les procédures enclenchées et la transparence des points de presse officiels envoient un signal fort : l’ère de l’impunité touche à sa fin.
Mais cette démarche est aussi un test grandeur nature pour le régime en place. Restaurer la justice sociale ne signifie pas seulement sanctionner les élites corrompues ; c’est aussi garantir aux citoyens ordinaires une justice équitable, rapide et crédible.
Une opinion publique partagée entre espoir et prudence
Dans la rue, les réactions oscillent entre satisfaction et méfiance. D’un côté, nombreux sont ceux qui applaudissent ce tournant, estimant qu’enfin « les puissants goûtent à la rigueur de la loi comme les simples citoyens ». De l’autre, certains craignent que cette dynamique ne soit instrumentalisée politiquement, transformant la justice en outil de règlements de comptes plutôt qu’en véritable institution indépendante.
Le défi est immense. La crédibilité de ce processus repose sur la capacité de la justice à traiter tous les dossiers sans discrimination, qu’ils concernent des alliés ou des adversaires du pouvoir.
Une rupture historique à confirmer
L’histoire récente du Niger a été marquée par des scandales financiers retentissants restés sans suite judiciaire. De nombreux Nigériens n’ont pas oublié les affaires de détournements de plusieurs milliards de francs CFA dans divers ministères, ni les marchés publics surfacturés qui ont saigné les finances publiques.
Si les enquêtes actuelles aboutissent à de véritables procès et à des condamnations fondées sur des preuves solides, alors le Niger pourrait bien tourner une page sombre de son histoire politique. Dans le cas contraire, ce mouvement risque de n’être perçu que comme un effet d’annonce.
Vers un nouvel ordre judiciaire ?
L’affaire Ibrahim Yacouba, par son ampleur et sa symbolique, est sans doute le dossier le plus emblématique de cette nouvelle ère judiciaire. Elle place le pays devant un choix décisif : soit consolider une justice impartiale, transparente et crédible, soit retomber dans les vieux travers de l’instrumentalisation politique.
Quoi qu’il en soit, une chose est claire : le temps de l’impunité systématique semble révolu. Le Général Tiani, en promettant une justice sociale, a déclenché une dynamique qui met désormais chaque acteur public face à ses responsabilités.
Les prochains mois diront si cette promesse est durable et sincère. Pour l’instant, une chose est sûre : au Niger, la peur de la justice ne concerne plus seulement les faibles, mais aussi et surtout ceux qui, jadis, se croyaient intouchables.
Adam Iboun Gueye